Chuuutttt…. Il y a quelques nuits… Insomnie
Une odeur, un bruit, je ne sais plus…. Et mon esprit est parti se promener dans les couloirs de mes souvenirs.
Petite, toute petite…
Je me suis souvenue de cette grande maison, dans ma campagne, au bout d’un chemin de gravier…… Entourée de champs.
De blé?… Je ne me rappelle plus vraiment…
Au bout, une immense bâtisse. Puis la cour. La maison est en L, car elle abrite à sa droite une étable avec quelques chèvres et une grange à foin. Ça sent l’herbe sèche. Il y a de la poussière et des toiles d’araignées sur le bois de la ferme. Je me sens minuscule. Et j’ai un peu peur quand même. C’est sombre.
Dans la cour, il y a une Super 5. Une vieille Renault grise métallisée.
Au fond, un poulailler, et des clapiers à lapin. Le grillage est rouillé. Les lapins me regardent, se collent au fond des cages, et leurs truffes remuent. J’aurai voulu qu’ils n’aient pas peur de moi. Je ne comprenais pas encore ce qu’ils craignaient quand les humains s’approchent…
Un peu plus sur la gauche, un tilleul. Sous cet arbre immense, on finissait le repas du dimanche. Sur des vieux transats. Des chaises pliantes, qui grinçaient un peu. De l’air et des heures à tourner sous ce tilleul, les dimanches après-midi. Je n’étais allergique à rien, en ces temps.
La vue était époustouflante. Sur la campagne et les champs en contre-bas. Sur les rangées de salades, du voisin d’en bas. D’ailleurs, il y avait aussi un potager sous la butte. Des légumes, des haies de tomates, des cardons, et des herbes. Mais j’y allais rarement, car on m’avait mise en garde contre les serpents sur les pierres, qui soutenaient le nivellement.
Au milieu de la cour, entre le tilleul et les lapins, il y a avait un point d’eau. Impossible de me rappeler s’il s’agissait d’une fontaine ou d’une mare. Je me rappelle juste qu’on y prenait du cresson. Je me rappelle parfois avoir entendu les croassements du crapaud. Je crois bien que c’était un fontaine…. Rhoooo, je sais plus…
Le corps de la maison devait être en pisé, avec un appareillage de galets de la Galaure surement. Une grande pièce avec une table en bois, et une nappe, où il y avait des trous. Des tiroirs où l’on trouvait tout! Couteaux, ciseaux, fourchettes, piques à brochette. Un minuscule point d’eau, caché dans un placard à chevillette. Du bleu, au mur. De la chaux un peu décrépie. Un escalier, qui grimpait à l’étage, où je ne suis montée qu’une seule fois dans ma vie pour dormir dans un lit en ferraille. Oui, nous avons passé tout notre temps dans la pièce principale. Au fond, il y avait la porte vers la salle à manger, mais on y déjeunait jamais. Mais là-bas, au fond, sur la table, il y avait le gros pain de campagne, à la croûte aussi dure que l’écorce, qu’on coupe en le mettant contre la poitrine, avec un opinel déglingué. Les tommes, le saucisson. Mais surtout le quatre-quart! Jaune et brillant dans son sachet. Dont une grosse tranche était réservée, chaque matin, uniquement au maître de ses lieux. Un grand bonhomme avec une grosse voix grave, qui nous a quitté en ce début d’année. Moi, j’avais droit à des tartines, mais Dieu qu’elles étaient bonnes.
Je me rappelle des repas pantagruéliques. Des salades de croupettes, avec de l’œuf écrasé dans la vinaigrette à la moutarde, des lardons chauds. Des plats de viande, que Papa amenait du magasin. Du fromage qui sentait mauvais! Des salades de fruits au sirop. Des madeleines au beurre… Du plat de cardon à la crème: « J’en veux pas! – Si! »
Et puis, au fond, de la cour, après la maison, après le poulailler et les clapiers, il y avait un petit chemin. Il emmenait au hangar à foin. Là, on garait la caravane pour l’été. On y montait le samedi. On y couchait. Une caravane à l’intérieur un peu orange et mon lit en suspend. Je ne me rappelle même plus comment. « Au dodo! » Et je m’endormais en écoutant les grillons, et la voix de mes parents, qui se posaient à la fraicheur de la nuit tombée, pour enfin décompresser.
Le dimanche matin, je montais dans la Renault 5 et on allait au village chercher le fameux pain énorme. On s’arrêtait au bistrot, pour un Pernod.
Tantôt il y a eu les balades aux pissenlits, tantôt le ramassage des coings, dans le bois plus haut. Un jour, il y avait la vogue, le lendemain la bise du froid de l’hiver et le gratin dauphinois.
Je me souviens quand il fallait partir. Redescendre chez nous, en plaine. J’avais les mains toutes sales. Je collais de partout. Je montais dans la voiture, je ne voyais presque pas le paysage dehors. Trop petite. Tout était simple, tout était souple. « A la douche! »
Je n’avais pas encore idée de ce que serait ma vie.
Un jour, le cancer est entré dans la maison, et il a suffi à déserter les lieux, arrêter les week-ends ensoleillés dans cette ferme. On en aura profité longtemps. Enfin j’ai l’impression.
Maman m’a dit que la ferme a été vendue. Je n’ai même pas envie d’y retourner. J’ai envie que cela reste la bâtisse immense, perdue dans la campagne que j’ai connue. Ce chemin sinueux, qui monte la colline. Le vent dans les arbres et dans mes cheveux. Les carreaux crasseux de mes petits lunettes …
Il est des passages de notre vie, où tout est baigné par la lumière. Je me suis tellement amusée, et j’ai tellement appris. A m’y ennuyer, à tourner, à crier. Apprendre à jouer seule. A regarder l’aiguiseur à couteau vieillir sous le tilleul. « Tu fais attention, Nini, heeeinnnnn! ». J’ai presque la sensation de n’avoir pas vécu ce moment, tant il est loin et impalpable.
Une parenthèse bien refermée. Un vrai début de souvenir de vie. Imagée.
J’ai 35 ans et j’ai peur de vieillir, j’ai peur que d’autres parenthèses se referment encore et encore. Avec une évanescence telle, que je n’arrive même plus à les ressentir.
Mes mains ne sont plus si petites, et ça fait belle lurette que je peux les laver toute seule… Que c’est beau et triste la vie…
A très vite
Nini
Ps: Les photos de ce billet sont celles que j’ai pu glaner dans ma banque personnelle d’images. Je n’ai plus de photos de ces lieux. Et je refuse d’y faire pèlerinage afin de ne pas désacraliser mes souvenirs.
Cet article a 4 commentaires